
Avec ses forêts recouvrant 88 % de son territoire, le Gabon est un trésor écologique mondial. Ce « poumon de l’Afrique » absorbe chaque année 100 millions de tonnes de CO₂ de plus qu’il n’en émet. Un exploit salué par la communauté internationale. Pourtant, derrière ce bilan carbone exemplaire se cache un paradoxe économique cruel. Cette contribution vitale à la régulation du climat ne se traduit que par des revenus dérisoires pour le pays.
Dans sa récente note conjoncturelle, la Banque mondiale a estimé la valeur des services rendus par les forêts gabonaises à 75,1 milliards de dollars entre 2000 et 2020. Une manne financière théorique qui repose presque entièrement (à 99 %) sur la séquestration de carbone.
Face à un tel actif, on pourrait imaginer un pays aux finances florissantes, récompensé pour ses efforts de conservation exceptionnels. La réalité est tout autre. « La majorité des services écosystémiques ne font l’objet d’aucune contrepartie financière », constate froidement le rapport de l’institution financière.
Le cas de l’accord signé en 2019 avec la Norvège, via l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), est une illustration cinglante de ce décalage. Le Gabon a reçu une promesse de 150 millions de dollars pour ses résultats mesurables en matière de réduction de la déforestation. Un montant important en apparence, mais qui représente une goutte d’eau face à la valeur estimée par la Banque mondiale soit à peine 0,2 %.

Le Gabon paie le prix de l’absence de mécanismes internationaux structurés pour rémunérer la protection de la nature.
Les systèmes actuels, comme le programme REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts), reposent sur des financements volontaires, ponctuels et souvent complexes à mobiliser.
Il se retrouve de fait dans la position du bon élève qui a fait ses devoirs sans que personne ne vienne noter sa copie.
Ce paradoxe place le gouvernement face à un dilemme cornélien. Comment continuer à justifier auprès des populations la sanctuarisation de vastes territoires quand les besoins en développement sont immenses ?

Entre le manque à gagner sur l’exploitation des ressources, kes investissements dans la surveillance, ou encore la limitation des activités agricoles, la préservation de la forêt a un coût que notre pays est seul à supporter.
« Nous protégeons un bien public mondial, mais nous assumons seuls les coûts d’opportunité », confie anonymement un haut fonctionnaire du ministère de l’environnement.
Le Gabon incarne ainsi parfaitement l’injustice climatique qui frappe les pays forestiers du Sud. Il est la preuve vivante qu’être un « champion du climat » est une source de fierté, mais pas encore un modèle économique viable.